Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO)

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Rapport sur les risques de la financiarisation en pharmacie d’officine : leviers d’actions pour préserver l’indépendance des pharmaciens

Constatant des dérives de plus en plus fréquentes dans la vie officinale (installation, gestion, liquidation), l’USPO a initié en 2024 le « Comité indépendance » au sein duquel ont siégé les acteurs majeurs de la profession de pharmacien d’officine à savoir la section A de l’Ordre national des pharmaciens, l’ANEPF[1], la CAVP[2] et la FSPF.

Fruit d’une discussion concertée ayant duré moins d’une année, ce rapport formule des leviers d’actions pour préserver l’indépendance des pharmaciens face aux risques de la financiarisation.

Ce rapport s’inscrit dans la continuité du rapport d’information sénatorial intitulé « Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la santé ?[3]» dans lequel il était déjà précisé que : « un phénomène de financiarisation est observé dans le secteur officinal, pourtant protégé par un cadre juridique réservant la propriété des officines aux pharmaciens diplômés. Certains pharmaciens recourent à des fonds d’investissement, parfois sous la forme d’obligations convertibles en actions, qui leur imposent en retour des obligations relatives à la gestion de l’officine ou à son activité, susceptibles de réduire leur indépendance professionnelle. »

Dans le rapport de l’USPO objet du présent article, la financiarisation a été appréhendée ici comme le processus par lequel des acteurs privés, non directement professionnels de santé, ayant la capacité d’investir de façon significative, dans le secteur de la santé ont pour finalité première, voire exclusive, de rémunérer fortement l’investissement.

Or, ce processus est de plus en plus constaté sur tout le territoire français venant à l’encontre des objectifs de santé publique qui promeuvent l’accès aux soins, le service à la population, l’attention donnée au patient et la qualité des soins, décorrélés d’un quelconque objectif de générer des profits importants.

En outre, l’organisation d’une profession libérale réglementée qui obéit à une déontologie professionnelle dont l’indépendance doit pouvoir garantir une qualité des soins désintéressée prodiguée aux patients.

Les investisseurs extérieurs imposent souvent des conditions contraignantes, telles que le choix de faire appel à certains fournisseurs, des orientations managériales comme le recrutement de personnel ou la restriction des dépenses qui devraient être engagées librement par le pharmacien.

Ces clauses réduisent la marge de manœuvre des pharmaciens, les transformant en gestionnaires limités par des directives orientées vers le profit, au détriment des considérations de santé publique et de qualité des soins.

Dans les zones rurales ou faiblement peuplées, la rentabilité est souvent moindre. La tendance des investisseurs à privilégier des officines de taille importante agressives commercialement, et susceptibles de dégager un chiffre d’affaires conséquent domine et perturbe les équilibres de répartition géographique des pharmacies organisées dans le cadre du maillage territorial.

Ce maillage fondé sur des critères démogéographiques qui s’imposent au pharmacien lors de l’acquisition d’une officine, garantit en effet la présence de pharmacies sur l’ensemble du territoire, y compris dans les zones rurales, avec un accès aux médicaments des populations en proximité. Il y a fort à penser que si cette tendance était confirmée elle pourrait déstabiliser le maillage déjà mis à mal depuis quelques mois.

Actuellement en France, chaque jour ouvrable une officine disparaît. En effet, nombreuses sont les officines en zone rurale et hyperurbaine qui ne trouvent pas de repreneurs à ce jour. La fermeture de ces pharmacies de proximité accentuerait le risque de « déserts pharmaceutiques » en devenir.

La recherche de rentabilité dans un secteur de santé de plus en plus financiarisé pourrait entraîner une hausse des prix des produits et services non remboursés, limitant l’accessibilité aux soins, notamment pour les populations vulnérables. Selon le rapport sénatorial, cette dynamique modifie la structure de l’offre, affaiblit les outils de régulation et accroît les stratégies d’optimisation économique, souvent au détriment de l’équité des soins.

À court terme, la financiarisation permet peut-être des économies, mais à long terme, elle risque d’augmenter les dépenses publiques, notamment via des pratiques d’« optimisation de la nomenclature » et la concentration des acteurs. Par ailleurs, la captation des bénéfices par des groupes financiers internationaux entraîne une fuite de ressources hors du territoire, comme l’illustre l’affaire Walgreens Boots Alliance Pharmacy UK avec la Suisse.

Ces évolutions menacent à la fois l’indépendance des professionnels de santé et la soutenabilité du financement public des soins. Face à ces risques, le Sénat et la CNAM appellent à un renforcement des dispositifs de contrôle et de régulation pour préserver l’accessibilité et la qualité des soins.

Afin de pouvoir interpeller les pouvoirs publics sur les dérives constatées dans le milieu officinal, l’USPO a formulé dans son rapport des leviers politiques et législatifs visant à lutter contre la financiarisation des pharmacies.

  1. Création d’un observatoire pour suivre la financiarisation des officines et analyser son impact sur le secteur pharmaceutique.
  2. Intégration d’un référentiel de formation sur la gestion d’entreprise dans le cursus des études de pharmacie.
  3. Vérification du contenu proposé par les intervenants extérieurs (liens d’intérêt) notamment lors des enseignements universitaires (cours magistraux et enseignements dirigés)

4. Mise en place d’une stratégie de communication pour sensibiliser lesétudiants & pharmaciens aux risques etalternatives à la financiarisation.

5. Garantir le contrôle effectif du pharmacien sur sa société en interdisantles conventions pouvant l’en priver.

6. Application des mesures de l’Ordonnance du 8 février 2023 pourun meilleur contrôle des sociétés depharmaciens.

7. Exiger la transparence des montages financiers lors de l’inscription des sociétés auprès de l’Ordre des pharmaciens.

8. Rendre inopposables les documents non communiqués à l’Ordre des pharmaciens pour assurer un contrôle effectif.

9. Inverser la charge de la preuve en cas de conflit pour obliger les investisseurs extérieurs à prouver l’indépendance des pharmaciens.

10. Encourager des aides éthiques entre pharmaciens pour favoriser un soutien mutuel respectant l’indépendance professionnelle.

11. Encadrer le parrainage entre pharmaciens pour accompagner lesjeunes installés, tout en évitant les dérives.

12. Étudier la création d’une société ou comité de caution mutuelle pourrenforcer l’indépendance financière despharmaciens.

13. Adapter les modes d’exercice officinal pour assurer une transmission fluide entre adjoints et titulaires.

14. Intégrer la pertinence des actes dans la rémunération pour éviter les biaiséconomiques et valoriser la qualité des soins.

15. Prévenir un sous-investissement prolongé pour protéger l’indépendanceet la viabilité du secteur pharmaceutique.

Remis en mains propres au ministre de la Santé et de l’accès aux soins, Yannick Neuder, l’USPO attend ardemment que des mesures efficaces et dissuasives soient prises afin de lutter rapidement contre cette financiarisation, nuisible à la pratique officinale. L’instauration d’une part, d’un cadre plus protecteur de l’indépendance de la profession de pharmacien et d’autre part, de sanctions légales permettront à la pharmacie d’officine de retrouver son indépendance, clef de voute de la déontologie et de l’exercice officinal.


[1] ANEPF, Association nationale des étudiants en pharmacie de France

[2] CAVP, Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens

[3] Ce rapport a été rédigé par Madame la sénatrice Corinne Imbert et Messieurs les sénateurs Bernard Jomier et Olivier Henno et publié le 25 septembre 2024.