
Grève des pharmacies de l’été 2025 : retour sur une mobilisation d’ampleur inédite
En bref
La mobilisation des pharmaciens de l’été 2025 a été déclenchée en juin par la décision du gouvernement de diminuer drastiquement le plafond des remises commerciales sur les médicaments génériques.
Cette baisse, décidée unilatéralement par le gouvernement sans réelle concertation avec la la profession, était un risque important pour la viabilité des pharmacies du fait de l’importance du poids de ces remises dans leurs revenus, et mettait en péril immédiat le tiers du réseau officinal, soit 5 000 à 6 000 pharmacies, ainsi que les 146 000 emplois directs du secteur.
Les fermetures économiques d’un nombre important de pharmacies auraient entraîné la création de déserts pharmaceutiques et la dégradation de l’accès aux soins de proximité pour les patients.
L’objectif de la mobilisation était donc la suspension immédiate des arrêtés ministériels litigieux et l’ouverture d’une négociation structurelle, notamment avec l’Assurance Maladie, sur la rémunération en pharmacie pour garantir la pérennité du modèle économique de l’officine.
La mobilisation a été extrêmement suivie en 2025 :
- grève illimitée des gardes à partir du 1er juillet
- journée historique du 16 août avec plus de 85% de fermetures des officines
- et journée de grève nationale suivie à 90% le 18 septembre.
Après plusieurs semaines d’actions, la profession a obtenu le 7 octobre la suspension de l’arrêté du 4 août 2025, et donc le gel de l’abaissement du plafond des remises commerciales des génériques.
Une négociation sur le mode de rémunération de la profession pour assurer la pérennité de l’économie officinale et surtout préserver le maillage territorial est en cours dans le PLFSS 2026.

Contexte : une profession en difficulté économique
La mobilisation d’une ampleur inédite des pharmaciens d’officine durant l’été 2025 est l’aboutissement de tensions croissantes autour d’un modèle économique se précarisant d’années en années et menaçant le maillage officinal français, premier maillon de l’accès aux soins de proximité.
Le facteur déclencheur de la crise fut la proposition gouvernementale de réduire drastiquement le plafond des remises commerciales que les laboratoires de médicaments génériques peuvent accorder aux pharmacies.
Initialement, le projet prévoyait de faire passer ce plafond de 40% à une fourchette de 20-25%, avant qu’un arbitrage interministériel ne fixe la cible à 30%. Pour le réseau officinal, cette mesure représentait une perte sèche estimée à 600 millions d’euros, impactant en profondeur la gestion économique des pharmacies.

Ces remises sont aujourd’hui un pilier structurel de l’économique des officines. Elles représentent jusqu’à 30% de l’Excédent Brut d’Exploitation (EBE), un chiffre qui peut être encore plus élevé pour les pharmacies rurales, plus fragiles. Une analyse du cabinet d’expertise comptable CGP quantifie cet impact : pour une officine moyenne, la remise à 40% équivaut à un revenu d’environ 78 000 euros, soit 30,10% de son EBE. La réduire revient donc à amputer directement la capacité de l’entreprise à fonctionner et à réinvestir dans la qualité de soins.
La principale menace liée à cette mesure était le risque d’une désertification pharmaceutique accélérée. Les syndicats ont alerté sur la mise en péril de 5 000 à 6 000 pharmacies, soit près d’un tiers du réseau national. Cette menace pèse non seulement sur l’accès aux soins pour des millions de citoyens, mais aussi sur un secteur qui représente 146 000 emplois qualifiés et non délocalisables.
Face à une menace jugée existentielle et le mode de décision unilatérale du gouvernement sans concertation avec les représentants syndicaux, la profession a unifié sa réponse, orchestrant une mobilisation dont l’ampleur restait inédite pour les métiers de la pharmacie.
Soulignant l’enjeu existentiel de la question, le mouvement a dépassé les barrières du monde syndical, entraînant une union sacrée de toute la profession, même non syndiquée, et sans distinction d’appartenance.
Actions de l’été 2025 : chronique d’une mobilisation inédite
Mai – Juin 2025 : les prémices de la contestation
Dès le 15 mai, l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine (USPO) a publiquement qualifié la menace sur le plafond des remises de « danger imminent et vital ».
Cette alerte a été suivie, le 3 juin, par le lancement d’un sondage national visant à documenter l’impact économique de la mesure et à sonder la détermination de la profession. Face à des propositions gouvernementales jugées « inacceptables », une première action a été décidée le 23 juin par l’USPO en appelant à une grève illimitée des gardes à compter du 1er juillet.
Juillet 2025 : début du mouvement
Le mouvement s’est durci en juillet, passant de l’avertissement à l’action directe. La mobilisation a été visible dès le 1er juillet avec une manifestation interprofessionnelle à Paris, au « Village des professionnels de santé trahis ».
La réponse gouvernementale, perçue comme une provocation, est intervenue le 3 juillet : un arrêté prolongeant le plafond de 40% pour un mois seulement. Qualifiant cette décision de « piétinement », l’intersyndicale a répliqué le 17 juillet par l’annonce d’un plan d’action commun beaucoup plus offensif.
Ce plan incluait la poursuite de la grève des gardes et une grève du tiers payant pendant les réquisitions, mais surtout, il brandissait la menace de la fermeture complète des pharmacies le 18 septembre, suivie de la fermeture complète tous les samedis à compter du 27 septembre 2025.
Août 2025 : fermeture symbolique et action juridique
La publication de l’arrêté du 4 août, fixant les plafonds à 30% pour les génériques et 15% pour les biosimilaires, a agi comme catalyseur pour la mobilisation estivale.
Le point d’orgue de la mobilisation estivale fut journée de fermeture du samedi 16 août. Son succès fut retentissant : selon un sondage de l’USPO, 92% des pharmacies prévoyaient de fermer. L’action était une démonstration politique, pas punitive, visant à illustrer auprès du grand public et des décideurs politiques l’impact que représenterait la disparition des pharmacies de proximité. Parallèlement, le soutien populaire s’est affirmé, avec une pétition nationale dont le nombre de signataires approchait les 200 000 mi-août.
Septembre : Mobilisation massive et suspension de l’arrêté
Le mois de septembre a débuté par l’application effective des mesures gouvernementales qui avaient déclenché la crise, l’arrêté du 4 août entrant en vigueur le 1er septembre.
Le 3 septembre, les représentants de la profession (Ordre, syndicats, groupements, étudiants) se sont réunis pour définir une position commune. Ils ont été reçus le même jour par les cabinets de la ministre du Travail (Mme Catherine Vautrin) et du ministre de la Santé (M. Yannick Neuder).
Le 4 septembre, l’USPO a été reçue à Matignon mais a exprimé une « déception immense » et une « incompréhension déstabilisante » face au cabinet du Premier ministre, qui contestait les chiffres syndicaux sur l’impact économique.
Face à l‘impasse des négociations, la profession a maintenu la grève illimitée des gardes et a appelé à de nouvelles actions, comme la suspension des services gratuits (par exemple la prise de tension).
L’apogée du mouvement social a été la journée du 18 septembre, planifiée pour intervenir avant l’examen du PLFSS 2026 (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale).
Les pharmaciens ont fait front uni lors de la fermeture complète des officines partout en France, accompagnée d’une cinquantaine de manifestations. Le mouvement a été massivement suivi avec 90 % des officines fermées sur l’ensemble du territoire national, marquant ce mouvement comme historique.
Cette journée a coïncidé avec la réunion du Comité économique des produits de santé (CEPS), qui a décidé d’acter une nouvelle baisse des prix des médicaments, une décision perçue par les pharmaciens comme une provocation par la profession.
La force de la mobilisation du 18 septembre a contraint l’Exécutif à réagir rapidement au plus haut niveau de l’État, le 24 septembre 2025, les syndicats et l’Ordre ont été reçus à Matignon par le Premier Ministre et ses conseillers.
L’USPO a salué une victoire majeure le 25 septembre avec l’annonce de la suspension immédiate de l’arrêté du 4 août 2025. Cette suspension a désamorcé la menace économique immédiate pour le maillage officinal et a ouvert la voie surune période de négociations plus en profondeur pour défendre l’avenir du modèle économique de la pharmacie d’officine.
Malgré cette suspension, la profession est restée en alerte et a déclaré rester unie « jusqu’à la victoire finale ».
Résultats et devenir de l’action
Les acquis politiques de la mobilisation
La pression exercée par la profession a porté ses fruits, forçant une reprise du dialogue avec le sommet de l’État.
- Négociations au sommet : Le 24 septembre 2025,
- l’USPO a été reçu par le Président du Sénat, Gérard Larcher, qui a témoigné son soutien à la profession,
- et les syndicats représentatifs ont été reçu à Matignon, une reconnaissance politique de la gravité de la crise et de la légitimité du mouvement.
- Suspension de l’arrêté : Le 25 septembre, la profession a obtenu une « victoire majeure ». Le gouvernement a annoncé la « suspension tant attendue » de l’arrêté du 4 août. Cette décision, qui désamorce la menace économique immédiate, est la preuve directe de l’efficacité de la mobilisation.
Les défis persistants et les perspectives
Malgré cette victoire, la profession considère la situation comme une simple trêve. Le conflit économique structurel demeure, notamment avec les décisions du Comité Économique des Produits de Santé (CEPS), perçues comme une double peine en raison d’une baisse de prix programmée de 50 millions d’euros sur les derniers mois de l’année.
- La revendication centrale : un « avenant 2 » à la convention pharmaceutique
L’objectif de la profession est désormais d’obtenir l’ouverture de négociations pour une refonte en profondeur du modèle de rémunération. La finalité est de bâtir un nouveau modèle, moins dépendant des prix et des volumes de médicaments, qui valorise enfin à leur juste valeur les missions de santé publique assurées par les pharmaciens : prévention, dépistage, suivi des patients chroniques, etc.
- Un plan d’escalade stratégique en réserve
En cas d’échec des négociations, les syndicats ont déjà annoncé un plan de reprise des actions. L’action la plus significative reste celle d’une fermeture complète de toutes les pharmacies tous les samedis. L’USPO 13 a d’ores et déjà déposé un préavis de grève entre Noël et le jour de l’an.
Approfondissement : les remises sur génériques, un enjeu central
Historique : la genèse d’un pilier économique
Les politiques publiques des années 2000-2010, en encourageant massivement la substitution générique afin de maîtriser les dépenses de l’Assurance Maladie, ont cassé le monopole des laboratoires détenteurs de médicaments princeps ce qui a induit une forte concurrence entre les laboratoires de génériques, les conduisant à offrir des remises commerciales importantes aux pharmaciens pour s’assurer de la dispensation de leurs produits.
Ces remises se sont progressivement stabilisées autour du plafond réglementaire de 40%.
De fait, l’État a institué un contrat implicite avec la profession : une marge statutaire basse, fixée par la loi qui permet à l’Assurance Maladie d’économiser sur le prix des médicaments, est compensée par les revenus issus de ces remises sur les hauts volumes de génériques, permettant aux officines de continuer à fonctionner malgré la baisse massive du prix de remboursement des médicaments.
L’Assurance Maladie rembourse donc des médicaments à uncoût bas tandis que les pharmaciens tirent une part vitale de leurs revenus en faisant pression sur le secteur privé plutôt que de peser sur le secteur public.
La tentative gouvernementale de réduire drastiquement ce flux financier, sans proposer en parallèle compensation formelle et garantie, a donc été perçue par les pharmaciens comme une rupture unilatérale de ce pacte.
Pourquoi un Encadrement du Plafonnement des Remises ?
Le plafonnement des remises est strictement encadré par l’État via l’Article L. 138-9 du Code de la Sécurité Sociale, qui confère au Comité Économique des Produits de Santé (CEPS) le pouvoir de fixer ces plafonds. Cet encadrement national poursuit un double objectif.
- Maîtrise des dépenses
L’objectif principal du CEPS sur cette question est d’éviter tout compérage entre officines et laboratoire pharmaceutique : en plafonnant les remises sur génériques, elle s’assure que le prix facial sur lequel la sécurité sociale rembourse n’est pas trop décorrélé de la réalité du marché, et que l’Assurance Maladie ne rate pas des opportunités de réduction de ses coûts en payant un prix facial trop élevé par rapport au prix de rentabilité des laboratoires auxquels ils vendraient aux pharmacies.
- Solidarité territoriale
Un plafond national unique fonctionne comme un mécanisme de péréquation implicite. Il empêche les grandes pharmacies, capables de commander des volumes massifs, d’obtenir des conditions commerciales écrasantes par rapport aux petites structures rurales. Ce plafond garantit ainsi une rentabilité minimale sur les génériques pour toutes les pharmacies, préservant l’équité et le maillage officinal sur l’ensemble du territoire.
Pourquoi une Telle Différence de Chiffres entre les Calculs ?
Au cœur de la crise, un fossé spectaculaire séparait les estimations d’impact économique : le gouvernement avançait une perte moyenne d’environ 4 000 € par officine, tandis que les syndicats évaluaient la perte jusqu’à 30 000 €, voire plus.
Cet écart révèle une divergence profonde de méthodologie et de confiance.
| Source de l’Estimation | Perte Annuelle Moyenne Estimée | Analyse de la Méthodologie |
|---|---|---|
| Gouvernement / CEPS | ~ 4 000 € | Le calcul n’étant pas public, on ne peut que faire des suppositions à son sujet. Il se base probablement sur une moyenne nationale, qui lisse complémentement les écarts entre petites pharmacies très dépendantes des génériques, et grosses officines urbaines diversifiées. De plus cette estimation ne concerne que le premier palier de baisse à 30%, et pas le palier final prévu à 20%.Cette approche vise à minimiser politiquement l’impact de la mesure. |
| Profession | > 20 000 € à 30 000 € | Le calcul se concentre sur la perte brute et directe sur l’EBE, basée sur le volume réel de génériques vendus. |
